Un discours qui dirait le langage même
et en exposerait les limites sans être un métalangage ni plonger
dans l'indicible est-il possible?
Une tradition de pensée antique
énonce cette possibilité comme une théorie des idées.
Contrairement
à l'interprétation qui voudrait y voir le fondement indicible d'un
métalangage, la théorie des idées se fonde sur une acception sans
réserve de l'anonymat du langage comme de l'homonymie qui en
gouverne le champ (c'est en ce sens qu'il faut comprendre
l'insistance de Platon sur l'homonymie entre les idées et les choses
et le refus de Socrate de toute misologie). Mais c'est justement
cette finitude et cette équivocité du langage humain qui ouvrent la
voie au “voyage dialectique” de la pensée. Si toute parole
humaine présupposait toujours déjà une autre parole, si le pouvoir
présupposant du langage ne prenait jamais fin, alors vraiment il ne
saurait jamais y avoir d'expérience des limites du langage. Par
ailleurs, un langage parfait, d'où toute homonymie aurait disparu et
au sein duquel tous les signes seraient univoques, serait un langage
absolument privé d'idées.
L'idée est entièrement comprise
entre l'anonymat et l'homonymie du langage. Ni l'un est et a un
nom, ni l'un n'est pas et n'a pas de nom. L'idée n'est pas un
mot (un métalangage) et elle n'est pas non plus la vision d'un objet
à l'extérieur du langage (un tel objet, un tel indicible n'existent
pas), mais vision du langage
même. Parce
que le langage, qui offre à l'homme la médiation pour toute chose
et toute connaissance, est lui-même immédiat. Rien d'immédiat ne
peut être atteint par l'homme parlant – si ce n'est le langage
lui-même, si ce n'est la médiation elle-même. Une telle médiation
immédiate constitue pour l'homme la seule possibilité de rejoindre
un principe libéré de tout presupposé jusqu'à sa propre
présupposition; c'est à dire, la possibilité de rejoindre cette
ἀρχή ἀνυπόθετος que Platon, dans la République,
présente comme τέλος, comme l'achèvement et la fin de l'αὐτὸς
ὁ λόγος, du langage même, et, dans le même temps, comme la
“chose même” et affaire de l'homme.
Aucune
communauté humaine véritable ne peut surgir sur la base d'un
présupposé – qu'il s'agisse de la nation, de la langue, ou même
de l'a priori de la communication qu'évoque l'herméneutique. Ce qui
unit les hommes entre eux n'est pas une nature ni une voix divine, ni
l'emprisonnement commun dans la langage signifiant, mais la vision du
langage lui-même, et par voie de conséquence, l'expérience de ses
limites, de sa fin.
La seule véritable communauté est une communauté non présupposé.
C'est pourquoi l'exposition philosophique pure ne peut être
exposition de ses idées sur le langage, ou sur le monde, mais
exposition de l'idée
du langage.
Giorgio
Agamben, La
potenza del pensiero. Saggi
e conferenze,
trad. francesa de
Joël Gayraud e Martin Rueff, Paris, Payot & Rivages, 2006 .
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